Une simple démarche qui révèle tout un système
Elle venait simplement rouvrir son Livret d’Épargne Populaire (LEP), que la banque avait fermé par erreur. Une démarche administrative de routine, qui aurait dû prendre quinze minutes. Mais voilà, en 2025, entrer dans une agence bancaire française, c’est s’exposer à une séance de vente forcée, particulièrement quand on fait partie des publics considérés comme “vulnérables”.
La mère de mon fils – comme il est désormais d’usage de désigner son ex-femme avec cette périphrase qui préserve le lien parental – en a fait l’amère expérience dans une agence de La Banque Postale à Rennes. Son profil ? Bénéficiaire du RSA. Non pas par manque de qualifications, mais parce qu’étrangère dans un système qui peine à reconnaître les compétences venues d’ailleurs. Comme tant de ses amis, enseignants dans leur pays d’origine, Database Managers diplômés, ou autres professionnels qualifiés, sans emploi dans des secteurs dits “en tension”, et réduits à naviguer dans les méandres administratifs français.
L’art de transformer une victime d’erreur bancaire en cliente captive
Première ironie de l’histoire : c’est la banque elle-même qui avait commis l’erreur en fermant son LEP. On pourrait s’attendre à des excuses, une résolution rapide du problème, peut-être même un geste commercial. Au lieu de cela ? Une opportunité de vente par une “conseillère financière” fraichement arrivée.
Le premier produit, absolument pas bancaire : l’abonnement mobile
Le conseiller commence par scanner ses “besoins”. Téléphonie mobile ? Elle a déjà un forfait à 4 euros par mois, sans engagement, fonctionnel en France comme en UE, qui lui convient parfaitement. Qu’à cela ne tienne ! On lui propose un forfait à 11 euros mensuels – presque trois fois plus cher – avec engagement, en mettant en avant les “4 premiers mois gratuits”.
Faisons le calcul simple qu’on évite soigneusement de présenter :
- Situation actuelle : 4€ x 12 mois = 48€ par an
- Proposition “avantageuse” : 11€ x 8 mois (après les 4 mois “gratuits”) = 88€ la première année, puis 132€ les années suivantes
Une augmentation de 83% dès la première année, 175% ensuite. Voilà l’aubaine qu’on propose à une personne au RSA.
Le second produit : la “convention” miracle
Mais le clou du spectacle reste cette “convention” à seulement 1 euro par mois (en offre promotionnelle, elle passe ensuite à 3€), avec engagement (mais avec le sempiternel “vous pourrez l’arrêter facilement quand vous voulez” – dans ce cas pourquoi un engagement ?). Que contient notamment ce produit miracle que n’offre actuellement pas l’autre carte en sa possession ? Tenez-vous bien : “un soutien psychologique en cas de fraude ou de vol d’un effet personnel ou d’un moyen de paiement”.
Réfléchissons deux secondes. En cas de vol de carte bancaire, la première chose dont on a besoin, c’est d’un psychologue ? Pas de faire opposition ? Pas d’être remboursé des transactions frauduleuses (ce qui est déjà une obligation légale de la banque) ? Non, apparemment, ce dont on a vraiment besoin, c’est de “soutien psychologique” alors que dans le même temps la banque abuse de nombreux ressorts psychologiques pour vendre (et tardera autant que possible le cas échéant au remboursement des opérations frauduleuses comme tout usager de banque traditionnelle y étant confronté l’aura remarqué). Très utile d’avoir un soutien psychologique suite à un niveau de protection insuffisant (de la banque responsable de la sécurité des moyens de paiements) d’un moyen de paiement dont vous n’avez pas besoin… mais qui vous aura donc occasionné des pertes financières (et dans son coût mensuel/annuel, et dans son défaut de protection)
Le paradoxe français : des services premium à l’étranger, basiques et payants en France
L’absurdité de la situation devient criante quand on sait qu’elle possède déjà une carte bancaire étrangère, entièrement gratuite, offrant :
- Du cashback sur tous ses achats
- Notification immédiate à chaque paiement CB réalisé
- Des opérations multi-devises sans frais
- Une conciergerie (vraiment) disponible 24h/24, 7j/7
- Une assurance voyage complète
- Zéro frais à l’étranger
Des services qu’en France, seules les cartes “Black” ou “Infinite” proposent (et encore, partiellement), pour plusieurs centaines d’euros par an. Et on vient lui vendre une “convention” à 36 euros annuels qui propose beaucoup moins, mais en seul supplément de ce qu’elle a déjà… du “soutien psychologique” ?
La métamorphose du conseiller en commercial
Ce qui frappe dans cette histoire, c’est la disparition totale de la fonction de conseil. Le “conseiller bancaire” n’analyse pas la situation financière de sa cliente. Il ne cherche pas à comprendre ses besoins réels. Il ne l’alerte pas sur l’inadéquation entre sa situation (RSA) et les produits proposés (augmentation de 175% de ses frais téléphoniques).
Non, il suit son script commercial, coche ses objectifs de vente, remplit ses quotas. La banque publique, celle qui se targue d’être “la banque de tous les Français”, applique les mêmes techniques de vente agressive que n’importe quelle officine de crédit à la consommation.
Les publics vulnérables : cibles privilégiées
Cette situation n’est pas un cas isolé. Elle révèle une stratégie systémique qui cible particulièrement :
Les bénéficiaires de minima sociaux, perçus comme moins aptes à négocier ou refuser. On mise sur leur sentiment de précarité, leur peur de déplaire à une institution dont ils dépendent.
Les personnes d’origine étrangère, qui maîtrisent parfois moins les subtilités du système bancaire français. Cette dame, comme ses amis enseignants ou informaticiens, tous diplômés, tous compétents, se retrouvent fragilisés par leur méconnaissance des codes, des droits, des recours.
Les personnes âgées, autre public de choix pour ces pratiques, souvent par politesse ou confusion face à la complexité des produits.
Le coût social de ces pratiques
Au-delà du scandale moral, ces pratiques ont un coût social réel :
- L’endettement des plus fragiles : À force de souscrire des “petits” services à 1 euro par-ci, 3 euros par-là, les budgets serrés explosent.
- La perte de confiance : Comment faire confiance à sa banque quand chaque interaction devient une tentative d’arnaque légale ?
- L’exclusion bancaire renforcée : Paradoxalement, ces pratiques poussent les plus avertis vers des solutions alternatives (banques en ligne, néobanques étrangères), laissant les plus vulnérables seuls face aux vendeurs (qui de fait les cibleront plus aisément).
Que faire face à ces dérives ?
Pour les clients
Ne jamais signer le jour même. Prenez systématiquement les documents, étudiez-les à tête reposée. Un vrai bon produit reste bon le lendemain.
Venir accompagné. La présence d’un tiers change radicalement la dynamique. Le conseiller sera moins tenté de forcer la vente.
Connaître ses droits. Délai de rétractation de 14 jours pour la plupart des produits, droit au compte bancaire de base gratuit, obligation de conseil adapté…
Documenter et signaler. Gardez une trace écrite de tout. Signalez les abus à l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et aux associations de consommateurs.
Pour les banques
Il est temps de revenir aux fondamentaux. Le rôle d’une banque, particulièrement d’une banque se voulant “publique” et “sociale”, n’est pas de pressurer les plus fragiles mais de les accompagner.
Former de vrais conseillers, pas des vendeurs. Des professionnels capables d’analyser une situation financière et de proposer des solutions adaptées, quitte à ne rien vendre.
Adapter les objectifs commerciaux. Cesser de fixer des quotas de vente déconnectés de la réalité des clients.
Assumer une responsabilité sociale. Particulièrement pour La Banque Postale, héritière d’une mission de service public.
L’urgence d’une régulation
Face à ces dérives, les pouvoirs publics ne peuvent rester spectateurs. Il faut :
- Renforcer les contrôles sur les pratiques commerciales bancaires
- Sanctionner réellement les abus (pas seulement des amendes symboliques)
- Imposer une vraie transparence sur les coûts et les alternatives
- Créer un vrai service bancaire de base, gratuit et protégé de toute démarche commerciale
Conclusion : retrouver le sens du service bancaire
Cette mésaventure dans une agence rennaise n’est qu’un symptôme d’un mal plus profond. Nos banques ont oublié leur rôle social. Elles ont transformé leurs agences en points de vente, leurs conseillers en commerciaux, leurs clients en proies.
Il est temps de dire stop. Stop à la vente forcée. Stop au ciblage des plus vulnérables. Stop à la transformation de chaque interaction bancaire en séance de harponnage commercial.
La mère de mon fils est repartie sans avoir signé. Son LEP a finalement été rouvert. Mais combien cèdent, par fatigue, par méconnaissance, par peur de déplaire ?
C’est pour eux que cet article est écrit. Pour que ces pratiques soient dénoncées, documentées, combattues. Pour qu’un jour, on puisse à nouveau entrer dans une banque sans se sentir comme une gazelle face à un lion. Pour qu’un conseiller bancaire redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un conseiller.
Pour signaler des pratiques abusives :
- ACPR : acpr.banque-france.fr
- UFC-Que Choisir : quechoisir.org
- AFUB (Association Française des Usagers des Banques) : afub.org