5000€ de plus-values en un mois : le succès qui interroge
Il y a quelques mois, j’évoquais sur ce blog l’ouverture d’un compte-titres ordinaire (CTO) pour mon fils de 8 ans. L’objectif était simple : lui transmettre une éducation financière pratique, lui apprendre la patience, la valeur de l’épargne et les mécanismes de l’investissement. Ce qui devait être un outil pédagogique s’est transformé en une expérience qui me bouleverse profondément.
En octobre 2025, son portefeuille a généré 5400€ de plus-values brutes – soit environ 5000€ nets après impôts – en un seul mois. La vente opportune de nos positions sur Kering, notamment, a largement contribué à ce résultat spectaculaire. Des performances qui vont bien au-delà de tout ce que j’avais imaginé lors de l’ouverture de ce compte.
Le vertige d’une réussite paradoxale
Face à ces chiffres, je devrais me réjouir. Après tout, j’ai fait les bons choix, sélectionné des valeurs dont le price earning ratio me semblait raisonnable, saisi les bonnes opportunités. Le compte-titres de mon fils prospère, et cette somme contribuera certainement à son avenir. Ces gains augmenteront d’ailleurs mes impôts en 2025 – une “bonne” nouvelle en soi qui témoigne de la réussite de cette stratégie.
Pourtant, une amertume étrange m’envahit.
Quand un mois de capital dépasse des années de labeur
Cette plus-value mensuelle de 5000€ nets représente davantage que la très large majorité de mes salaires nets mensuels glanés au cours de ma carrière en France. Et ce, malgré mon statut d’expert reconnu dans mon domaine, fruit d’années d’études, de formations continues, d’expériences accumulées.
Le gouffre est abyssal. D’un côté, des décennies de travail, de formation, d’expertise patiemment construite. De l’autre, quelques clics, certes éclairés par mes connaissances financières, mais sans commune mesure avec l’investissement personnel que représente une carrière entière.
Mon fils de 8 ans vient de “gagner” en un mois ce que beaucoup de travailleurs qualifiés peinent à économiser en une année entière.
La question qui dérange : à quoi bon les diplômes ?
Cette situation me confronte à une question vertigineuse que je n’ose à peine formuler devant mon fils : à quoi bon chercher à obtenir des diplômes ? Pourquoi s’acharner sur les études, accumuler les compétences, gravir les échelons professionnels, quand il peut simplement regarder son compte prospérer ?
Bien sûr, j’ai mobilisé des connaissances pour créer et gérer ce CTO. J’ai passé du temps à me former, à comprendre les marchés, à analyser les entreprises. Mais cette autoformation financière, aussi sérieuse soit-elle, reste dérisoire comparée aux années d’études et de perfectionnement professionnel qui définissent ma carrière.
Les revenus du travail face au capital : un fossé qui se creuse
Cette expérience personnelle illustre brutalement une réalité économique plus large : l’écart grandissant entre les revenus du travail et ceux du capital. Quand le patrimoine financier d’un enfant peut générer en un mois plus que le salaire d’un expert, c’est tout notre contrat social qui est questionné.
Comment continuer à valoriser le mérite, l’effort, le travail, quand le capital semble si facilement les surpasser ? Comment transmettre à mon fils l’importance de se former, de contribuer à la société par son travail, quand les chiffres lui montrent une tout autre voie vers la prospérité ?
Garder les pieds sur terre : la correction viendra
Il est crucial de garder la tête froide. Ces performances exceptionnelles ne sont pas la norme. Les marchés connaissent des cycles, et une correction viendra inévitablement. La plupart des titres du portefeuille de mon fils seront affectés quand la tendance s’inversera. Les moins-values par rapport aux sommets actuels sont inscrites dans la logique même des marchés.
Cette volatilité fait partie de l’éducation financière que je souhaite lui transmettre. Les 5000€ gagnés aujourd’hui pourraient se transformer en pertes importantes demain. C’est aussi cela, la réalité de l’investissement.
Transformer le malaise en enseignement
Face à ce paradoxe, je choisis de transformer mon malaise en opportunité pédagogique. Oui, le capital peut générer des revenus impressionnants (même depuis un investissement “modeste”). Mais il reste volatil, incertain, et surtout, il ne peut être la seule source de valeur dans une vie.
J’explique à mon fils que ces gains sont exceptionnels, qu’ils ne se reproduiront pas chaque mois. Je lui montre que derrière chaque euro gagné, il y a des entreprises, des travailleurs, des innovations – que le capital sans travail n’existe pas.
Je continue à valoriser l’éducation, les compétences, la contribution à la société. Car au-delà de l’argent, c’est ce qui donne du sens à une existence. Le capital peut enrichir financièrement, mais seul le travail, la création, l’engagement enrichissent humainement.
Une réflexion nécessaire sur notre modèle
Cette expérience personnelle m’invite à une réflexion plus large sur notre société. Si un CTO d’enfant peut générer plus qu’un salaire d’expert, c’est que notre système fiscal et économique favorise structurellement le capital sur le travail.
Peut-être est-il temps de repenser cet équilibre. Non pas pour punir l’épargne et l’investissement, qui restent essentiels, mais pour revaloriser le travail, l’innovation, la création de valeur réelle. Pour que mes futurs articles sur ce blog puissent célébrer autant les succès professionnels de mon fils que ses performances boursières.
En attendant, je continue cette expérience d’éducation financière, avec ses succès troublants et ses leçons complexes. Car c’est aussi cela, être un bon père de famille : naviguer dans les contradictions de notre époque tout en transmettant des valeurs qui, elles, ne fluctuent pas en Bourse.
Cet article fait suite à mes précédents billets sur l’ouverture du CTO de mon fils et nos premiers investissements. Il reflète une réflexion personnelle sur les paradoxes de notre système économique, vue à travers le prisme de l’éducation financière familiale.
