Introduction : Un mécanisme méconnu dans un contexte de réformes profondes
Dans le contexte budgétaire tendu que traverse la France, avec 43,8 milliards d’euros d’économies à trouver pour le budget 2026, de nombreuses niches fiscales sont dans le viseur du gouvernement. Parmi les dispositifs qui pourraient être remis en cause figure un mécanisme particulièrement avantageux et pourtant méconnu du grand public : l’extinction des plus-values au décès.
Cette possible suppression s’inscrit dans un contexte plus large de réflexion sur la fiscalité du patrimoine, marqué notamment par les débats sur la “taxe Zucman” visant les ultra-riches et par des projets de réforme en profondeur des droits de succession. Le système français de transmission patrimoniale pourrait connaître sa plus importante mutation depuis des décennies.
I. Comprendre l’extinction des plus-values au décès
Le principe actuel
Lorsqu’une personne décède en France, les plus-values latentes sur ses actifs (actions, parts sociales, immobilier, etc.) sont “purgées” ou “effacées”. Concrètement, cela signifie que :
- Pour les héritiers : la valeur d’acquisition des biens transmis devient leur valeur au jour du décès
- Plus de plus-value à payer : si les héritiers revendent immédiatement les biens reçus, ils ne paieront aucun impôt sur la plus-value
- Un “reset” fiscal : les compteurs sont remis à zéro au moment de la transmission
Exemple concret
Situation classique :
- Un parent achète des actions pour 100 000 € en 2000
- Au moment de son décès en 2025, ces actions valent 500 000 €
- Plus-value latente : 400 000 €
Sans extinction des plus-values :
- Les héritiers devraient payer environ 130 000 € d’impôt sur la plus-value (30% de flat tax)
Avec l’extinction actuelle :
- Les héritiers récupèrent les actions avec une valeur d’acquisition de 500 000 €
- S’ils revendent à 500 000 €, aucune plus-value imposable
- Économie fiscale : 130 000 €
II. La France, une exception dans l’OCDE
Un avantage unique en Europe
D’après une étude comparative du Sénat, la France est le seul pays où la transmission purge intégralement les plus-values, que ce soit par donation ou succession. Cette particularité française est remarquable :
Comparaison internationale :
- Royaume-Uni et Espagne : purge uniquement au décès, pas pour les donations
- Allemagne, Italie, Belgique, Suisse : aucune purge, le coût d’acquisition initial est conservé
- États-Unis : système du “step-up basis” similaire mais avec des limites
Pourquoi cette exception française ?
Cette générosité fiscale s’explique historiquement par :
- Des droits de succession élevés : la France a parmi les droits de succession les plus élevés de l’OCDE (jusqu’à 45% en ligne directe)
- Une compensation : la purge des plus-values compense en partie le poids des droits de succession
- Une volonté de faciliter la transmission : éviter une double taxation (droits de succession + plus-values)
III. La “taxe Zucman” : Un nouveau paradigme fiscal pour les ultra-riches
Le mécanisme proposé
La “taxe Zucman”, du nom de l’économiste Gabriel Zucman qui l’a conceptualisée, représente un changement radical dans la fiscalité du patrimoine. Adoptée par l’Assemblée nationale en février 2025 mais rejetée par le Sénat en juin, elle pourrait revenir dans le débat budgétaire.
Principes clés :
- Impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros
- Contribution différentielle : seuls paient ceux qui versent moins de 2% de leur patrimoine en impôts actuellement
- 1 800 foyers concernés pour un rendement estimé entre 15 et 25 milliards d’euros par an
- Inclusion des biens professionnels dans l’assiette, contrairement à l’ancien ISF
Les enjeux du débat
Arguments en faveur :
- Les ultra-riches ne paient en moyenne que 26% d’impôts contre 50% pour la population générale
- Potentiel de 20 milliards de recettes annuelles
- Rétablissement du principe d’égalité devant l’impôt
Arguments contre :
- Risque d’inconstitutionnalité pour caractère “confiscatoire”
- Crainte d’exil fiscal massif
- Complexité de mise en œuvre et d’évaluation du patrimoine
Le gouvernement Bayrou a qualifié cette taxe d'”inconstitutionnelle” et propose une alternative édulcorée à 0,5% qui ne rapporterait que 2 milliards d’euros.
IV. Les réformes plus larges envisagées sur les successions
Les pistes de réforme en discussion
Au-delà de l’extinction des plus-values, c’est tout le système de transmission patrimoniale qui pourrait être revu :
1. Réforme de l’OCDE recommandée :
- Imposer davantage les grosses successions
- Créer un “impôt sur les transmissions à l’échelle d’une vie” tenant compte de toutes les donations reçues
- Élargir l’assiette fiscale en réduisant les exonérations
2. Propositions du Conseil Supérieur du Notariat :
- Rétablir les réductions d’impôt liées à l’âge du donateur (supprimées en 2011)
- Élargir le cercle des bénéficiaires potentiels des donations
- Faciliter les transmissions intergénérationnelles
3. Nouvelles exonérations temporaires (2025-2026) :
- Exonération jusqu’à 100 000 € par donateur pour l’achat d’un logement neuf ou la rénovation énergétique
- Limite de 300 000 € par bénéficiaire
- Condition : conservation du bien 5 ans en résidence principale
Le constat d’inégalités croissantes
Les réformes envisagées répondent à plusieurs constats alarmants :
- 60% du patrimoine français provient désormais des héritages (contre 35% en 1970)
- Concentration accrue : les 1% les plus riches détiennent 19% du patrimoine national
- Écart générationnel : les jeunes générations peinent à constituer leur patrimoine
V. Les stratégies d’optimisation actuelles et futures
Stratégies actuelles avec l’extinction des plus-values
La stratégie du “buy and hold” patrimonial :
- Constituer un portefeuille d’actions ou de parts de sociétés
- Les conserver jusqu’au décès
- Transmission aux héritiers avec extinction totale des plus-values
- Avantage : capitalisation à long terme sans friction fiscale finale
Si les réformes se concrétisent
Actions préventives possibles :
- Réorganisation patrimoniale avant 2026
- Arbitrages : vendre et racheter pour cristalliser les plus-values au taux actuel
- Donations anticipées : profiter des exonérations temporaires 2025-2026
- Diversification : combiner assurance-vie, démembrement, et sociétés civiles
Comparaison chiffrée de l’impact des réformes
Patrimoine de 1 million d’euros avec 60% de plus-value latente :
Scénario | Droits de succession | Impôt sur plus-value | Taxe Zucman | Total fiscalité | Transmission nette |
---|---|---|---|---|---|
Système actuel | 213 000 € | 0 € | 0 € | 213 000 € | 787 000 € |
Si suppression purge | 213 000 € | 180 000 € | 0 € | 393 000 € | 607 000 € |
+ Taxe Zucman (>100M€) | Variable | Variable | 2% du patrimoine/an | Variable | Impact sur ultra-riches |
VI. L’évolution probable du système français
Court terme (2025-2026)
- Maintien probable de l’extinction des plus-values (complexité de mise en œuvre d’une suppression)
- Focus sur les ultra-riches : version édulcorée de la taxe Zucman
- Incitations ponctuelles : exonérations temporaires pour donations immobilières
Moyen terme (2027-2030)
- Réforme progressive des droits de succession
- Harmonisation européenne possible sur la fiscalité du patrimoine
- Révision des abattements et des taux marginaux
Les garde-fous constitutionnels
Le Conseil constitutionnel veille au respect de plusieurs principes :
- Non-confiscation : l’impôt ne peut être spoliateur
- Égalité devant l’impôt : justifie paradoxalement certaines réformes
- Protection du droit de propriété : limite les possibilités de taxation excessive
VII. Que faire pour optimiser sa transmission ?
Les bonnes pratiques intemporelles
- Anticiper : ne pas attendre le dernier moment pour organiser sa succession
- Diversifier : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier fiscal
- S’informer : suivre l’évolution législative et fiscale
- Se faire accompagner : consulter notaires et conseillers en gestion de patrimoine
Les opportunités immédiates (2025-2026)
Profiter des exonérations temporaires :
- Donations jusqu’à 100 000 € pour l’immobilier neuf ou la rénovation énergétique
- Cumul possible avec les abattements classiques (100 000 € en ligne directe)
- Don familial de 31 865 € en numéraire (renouvelable tous les 15 ans)
Les alternatives pérennes
Même en cas de suppression de l’extinction des plus-values :
- Assurance-vie : 152 500 € par bénéficiaire hors succession
- Pacte Dutreil : abattement de 75% pour les entreprises familiales
- SCI familiales : optimisation via l’endettement et le démembrement
- Fondations et fonds de dotation : pour les très gros patrimoines
Conclusion : Un système en mutation profonde
L’extinction des plus-values au décès représente un avantage fiscal considérable, unique en Europe, mais potentiellement menacé. Dans un contexte où le gouvernement cherche 43,8 milliards d’euros d’économies et où les débats sur la justice fiscale s’intensifient avec des propositions comme la taxe Zucman, le système français de transmission patrimoniale pourrait connaître sa plus importante refonte depuis des décennies.
Les enjeux sont multiples :
- Budgétaires : trouver de nouvelles recettes sans tuer la croissance
- Sociaux : réduire les inégalités sans décourager l’épargne
- Économiques : maintenir l’attractivité de la France tout en assurant l’équité fiscale
Pour les épargnants et les familles patrimoniales, la période 2025-2026 sera cruciale. Entre opportunités temporaires (exonérations sur les donations immobilières) et menaces structurelles (suppression possible de l’extinction des plus-values, taxe sur les ultra-riches), l’adaptation et l’anticipation deviennent essentielles.
Le message est clair : dans un environnement fiscal en pleine mutation, la transmission de patrimoine ne s’improvise plus. Qu’il s’agisse de holdings, de comptes-titres ou d’immobilier, chaque famille doit repenser sa stratégie patrimoniale en tenant compte non seulement des règles actuelles, mais aussi des évolutions probables. Car si la France reste aujourd’hui avantageuse sur certains aspects de la transmission, notamment avec l’extinction des plus-values au décès, cet avantage pourrait rapidement devenir un souvenir dans les prochaines réformes budgétaires.
Note : Cet article a une vocation informative et ne constitue pas un conseil fiscal personnalisé. Les dispositifs fiscaux évoluent rapidement et il est recommandé de consulter un conseiller en gestion de patrimoine ou un notaire pour toute décision importante concernant la transmission de votre patrimoine. Les informations présentées sont à jour en septembre 2025 mais peuvent évoluer avec les débats budgétaires à venir.