La liquidation judiciaire de Dazzl.tv : Le mal français qui tue nos startups

Quand la mort d’une startup nous rappelle nos propres galères

La liquidation judiciaire de Dazzl.tv me touche particulièrement. Nous évoluions dans le même secteur, avec les mêmes profils – des fondateurs techniques, passionnés par l’innovation, mais sans ce fameux “profil commercial HEC” qui semble être le seul sésame pour survivre dans cet écosystème hostile.

Leur histoire est notre histoire. C’est l’histoire de toutes ces startups qui meurent étouffées par un système typiquement français qui prétend les aider tout en les condamnant.

Le syndrome du “partenariat” : la mort à petit feu

Dazzl.tv avait des “partenariats” avec Orange et Ouest-France, comme nous en avions avec Ubi Soft et Yves Rocher. Des noms prestigieux, n’est-ce pas ? Sauf que derrière ces beaux communiqués de presse se cache une réalité sordide :

Ces grandes entreprises qui ont les moyens de financer des Proof of Concept (PoC) préfèrent laisser les startups prendre TOUS les risques.

Pensez-y deux secondes :

  • Orange : chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros
  • Ouest-France : un des plus grands groupes de presse français
  • Une startup : quelques mois de trésorerie

Qui devrait prendre le risque financier selon vous ?

Mon expérience personnelle : le même schéma toxique

Dans mon cas, même secteur, même approche innovante. Notre proposition était simple : permettre à n’importe quelle organisme de créer sa propre chaîne TV avec seulement 15 minutes de travail par semaine. Une solution technique élégante, peu chronophage, efficace, souveraine, environmental-friendly dans un secteur qui l’est peu.

La réponse de la Région Bretagne ? “Il va falloir embaucher quelqu’un pour faire cela”, “Allez voir TVRennes pour un partenariat.”

TVRennes, financée sur fonds publics, qui a tout intérêt à garder le même périmètre. Une embauche, pour 15 minutes de travail par semaine. L’absurdité à l’état pur.

Le handicap fatal : ne pas avoir le “bon profil”

Soyons honnêtes : Dazzl.tv et nous avions le même problème fondamental. Nous n’avions pas de profil commercial aguerri dans l’équipe fondatrice. Nous étions des profils techniques, des créateurs, des innovateurs.

Et dans ce système pervers, cela signe votre arrêt de mort :

  • Sans profil commercial : difficile de naviguer dans le labyrinthe institutionnel
  • Sans réseau établi : impossible d’accéder aux “bons” décideurs
  • Sans expérience de la vente : compliqué de transformer un “intérêt” en contrat

Mais voici le paradoxe : même les meilleurs commerciaux ne peuvent pas vendre du vent. Et c’est exactement ce que le système nous demande de faire avec ces “partenariats” non rémunérés.

Le jeu de dupes des “partenariats”

Décryptons ce que signifie vraiment un “partenariat” dans le jargon institutionnel et corporate :

Pour la grande entreprise/institution :

  • ✅ Innovation sans investissement
  • ✅ Communication positive (“nous soutenons les startups”)
  • ✅ Aucun risque financier
  • ✅ Possibilité de récupérer la technologie si ça marche

Pour la startup :

  • ❌ Développement gratuit
  • ❌ Burn de trésorerie
  • ❌ Zéro revenus
  • ❌ Épuisement des équipes
  • ❌ Liquidation judiciaire

Le paradoxe mortel du risque inversé

C’est là que le système devient véritablement pervers :

  1. Les acteurs qui ont les moyens (Orange, Ouest-France, collectivités) refusent de prendre le moindre risque
  2. Les acteurs les plus fragiles (startups) doivent tout risquer
  3. Résultat : les startups meurent, les grandes entreprises continuent leur communication sur “l’innovation”

Pour une startup, investir 6 mois dans un “partenariat” non rémunéré représente potentiellement 50% de son espérance de vie. Pour Orange, c’est une ligne budgétaire insignifiante.

La chaîne mortelle des renvois (à la française)

Le parcours type d’une startup sans profil commercial en France :

  1. L’organisme public vous renvoie vers un “partenaire”
  2. Le partenaire vous demande de travailler gratuitement
  3. Vous cherchez d’autres financements
  4. On vous renvoie vers un organisme public
  5. Répétez jusqu’à liquidation judiciaire

Cette bureaucratie circulaire est une marque de fabrique française. Pendant ce temps, aux États-Unis ou en Israël, une startup aurait déjà signé trois contrats ou fermé boutique. Il suffit de regarder Pluto.tv qui s’est lancé peu ou prou en même temps que notre solution, dans le même périmètre.

Ce dont les startups ont vraiment besoin

Arrêtons l’hypocrisie. Les startups n’ont pas besoin :

  • ❌ De “visibilité”
  • ❌ De “partenariats stratégiques” non rémunérés
  • ❌ De logos prestigieux sur leur site
  • ❌ De réunions qui débouchent sur d’autres réunions

Elles ont besoin :

  • De clients qui paient
  • De PoC financés
  • De contrats signés
  • De trésorerie

Solutions concrètes pour changer le système

Pour les grandes entreprises :

  • Financez les PoC : Si vous voulez tester une innovation, payez pour, avec des jalons, vous y gagnerez plus que votre mise sur l’ensemble, sur le même principe que le private equity
  • Engagez-vous rapidement : 3 mois max entre premier contact et contrat
  • Assumez le risque : Vous en avez les moyens, pas les startups

Pour les institutions :

  • Devenez clients : Achetez directement si le produit répond à un besoin
  • Créez des budgets d’innovation : Avec de vrais euros, pas des “mises en relation” et des réunions qui coûtent beaucoup plus cher que le service en RH.
  • Simplifiez les procédures : Un processus d’achat rapide pour les petits montants

Pour les entrepreneurs (surtout les profils techniques) :

  • Recrutez un commercial dès que possible : C’est vital, même si cela va contre votre nature
  • Posez LA question : “Est-ce rémunéré ?” dès le premier contact
  • Refusez les partenariats gratuits : Votre temps vaut de l’argent
  • Privilégiez les clients directs : Même petits, ils valent mieux qu’un gros “partenaire” non payant

Une spécificité bien française

Cette culture du renvoi perpétuel et des “partenariats” non rémunérés est une spécialité française. Dans d’autres écosystèmes, notamment anglo-saxons, la logique est différente : on teste, on paie, on avance ou on arrête. Rapidement.

En France, on préfère la danse des institutions, les réunions qui s’enchaînent, les “mises en relation” qui ne mènent nulle part, le JEI, le CIR, la subvention européenne. C’est notre exception culturelle : tuer l’innovation à coups de “bonne volonté” administrative.

La solution : contourner le système

Récemment, j’ai mis en contact une star de l’écosystème vidéo français avec un serial entrepreneur rompu aux levées de fonds. Pourquoi ? Parce que la technologie développée vaut largement le coup. Mais surtout, parce que je lui ai dit : “Ne passe surtout pas par les institutionnels.”

C’est triste à dire, mais c’est la réalité : pour survivre en France avec une innovation, il faut éviter comme la peste ceux qui sont censés vous aider. Il faut aller directement vers :

  • Les investisseurs privés qui comprennent le risque
  • Les clients finaux qui ont un vrai besoin
  • Les entrepreneurs qui ont déjà réussi et qui connaissent les pièges

Les institutions ? Gardez-les pour la photo de fin quand vous aurez réussi malgré elles.

Conclusion : Dazzl.tv et combien d’autres ?

La liquidation judiciaire de Dazzl.tv n’est pas un cas isolé. Dans notre secteur de la vidéo et des médias innovants, combien sommes-nous à avoir vécu le même calvaire ? Combien de startups avec des fondateurs techniques brillants mais “sans profil commercial” ont été broyées par ce système ?

C’est le symptôme d’un écosystème typiquement français où :

  • Les institutions se défaussent de leurs responsabilités
  • Les grandes entreprises exploitent la précarité des startups
  • Les entrepreneurs sans réseau commercial sont condamnés d’avance
  • On préfère les “process” aux résultats

Il est temps de dire stop. Stop aux “partenariats” qui n’en sont pas. Stop aux renvois institutionnels infinis. Stop à l’exploitation déguisée en “opportunité”. Stop à cette exception française qui tue l’innovation.

Orange, Ouest-France, et toutes les autres : si une startup vous intéresse, sortez le chéquier. Sinon, vous n’êtes que des fossoyeurs de l’innovation.


Cet article reflète mon expérience personnelle dans le même secteur que Dazzl.tv. Si vous êtes entrepreneur et que vous avez vécu des situations similaires, partagez votre témoignage. Il est temps que ces pratiques soient dénoncées.